29/08/2014

L'Éducation de Stony Mayhall - Daryl Gregory


John "Stony" Mayhall pourrait être un adolescent comme les autres, à l'exception peut-être du fait qu'il ne respire pas, que sa peau est grise et froide et qu'aucun sang ne coule dans ses veines. C'est un zombie me direz-vous alors ? Oui, mais pas un zombie comme les autres. Car l'auteur réussit bien à détourner l'image populaire du zombie écervelé et paradoxalement mangeur de cervelle en faisant de Stony un être humain sensible et sensé, personnage très attachant que l'on suit sur plusieurs décennies, de la non-vie à ... la non-vie.

Tout d'abord, le contexte, s'il n'est que peu évoqué, est important pour comprendre la suite de l'histoire. A la fin des années 60 a eu lieu la première vague d'épidémie zombiesque et près de 70 000 personnes furent contaminées puis abattues par le gouvernement américain. Depuis, des équipes de Fossoyeurs traquent les zombies solitaires qui auraient échappés à l'extermination, de peur d'une nouvelle épidémie qui éradiquerait tous les "souffleux" de la Terre.

C'est dans ce contexte de chaos et de peur que la famille Mayhall recueille un nouveau-né, apparemment mort de froid dans la neige. Attention, vous ne trouverez pas ici de scènes gores, de corps explosés viscères à l'air comme nous en régale souvent la série de comics Walking Dead. Mais ce n'est pas plus mal car l'une des grandes qualités de ce roman est qu'il arrive à sublimer le banal quotidien d'une famille (presque) normale grâce à des personnages authentiques dont les comportements sonnent tellement vrais qu'ils en paraissent réels, palpables. Un huis-clos à la fois chaleureux et oppressant, qui exacerbe les émotions des personnages et la façon dont nous - lecteurs - les ressentons. Un début très réussi !

Après cette première partie sur l'enfance/adolescence de Stony que l'on pourrait qualifier de classique, l'histoire prend une tournure différente, bien plus déjantée, jouant avec les codes du genre pour mieux les contourner. On en apprend aussi plus sur la nature des zombies et leur psychologie, une communauté à part avec des caractéristiques qui lui sont propres : croyances, revendications, espoirs et dissensions. Un savant dosage de fun, d'humour noir MV (comprendre Mort-Vivant) et de suspens mais aussi de scènes à l'atmosphère plus sombre, parfois dramatique.


"Ces souffleux [...] ont hâte de voir la fin du monde débouler. Pourquoi tu crois qu'ils font tant de films là-dessus ? C'est leur putain de fantasme. Ils meurent tous d'envie de voir la civilisation brûler, les lois partirent en fumée. Ils veulent que les monstres attaquent. Tu sais pourquoi ? Parce qu’alors, ils auront une bonne excuse pour faire ce qu'ils ont toujours voulu faire : descendre leur prochain."

Mais après une montée en puissance qui se conclut par un passage à Deadtown, la dernière partie du roman se révèle être la moins satisfaisante. Une fin qui parait pourtant inévitable vu le cours des événements mais traitée ici d'une manière trop conventionnelle, tranchant sensiblement avec le reste du récit qui semblait pourtant vouloir se détacher des règles tacites du genre post-apo zombie. Une fin qui m'a donc laissée un peu sur ma faim, sans toutefois entamer la qualité globale du roman.

Autre petit regret, tout l'aspect médical et scientifique à propos de la nature des zombies, leur origine et leur métabolisme est bâclé sur la fin alors que ces recherches et "essais cliniques" sont évoqués tout au long du roman et plus particulièrement dans la troisième partie. Une petite déception compte tenu du caractère hautement passionnant de ce morceau d'intrigue, resté malheureusement en friche.

Malgré une baisse de tension à la toute fin, L'Éducation de Stony Mayhall reste un roman qui se dévore d'une traite et nous tient en haleine du début à la fin, alternant avec habileté humour et émotion, passant du rire aux larmes. Grâce à une écriture très fluide et rythmée, quasi cinématographique, ce roman nous happe dès les premières pages. Mais plus qu'un excellent page-turner c'est aussi une réflexion sur la condition humaine, la différence et le rapport à l'autre. J'en reprendrai d'ailleurs bien un morceau, pas vous ?

27/08/2014

Utopia - Ahmed Khaled Towfik

Dans une société égyptienne en déliquescence, où n'existe plus que les très riches et les très pauvres, les seules façons de lutter contre l'ennui se résument à la drogue ou à la violence. Même le sexe semble mortellement ennuyeux pour ces jeunes friqués d'Utopia pour qui tout est aseptisé. Unique et radicale solution pour briser la routine : la chasse.

Une progression haletante dans les bas-fonds du Caire, peuplés de miséreux se nourrissant de foies de rat et de pain rassis, dont la noirceur est illuminée par la présence de Gaber l'intellectuel pouilleux et de sa soeur, Safeya. Confronté tour à tour aux pensées du "chasseur" et celles de la "proie", on se sent comme pris en otage dans un récit dont l'issue semble jouée d'avance.

Une issue qui nous glace d'effroi par l'ampleur de sa cruauté, vision d'un bras ensanglanté levé vers le ciel d'un air triomphant. Vision d'une injustice contrecarrée cette fois-ci par la révolte. Celle d'un peuple famélique mais assoiffé de vengeance. Une fin qui, on l'espère, signe le début d'une lutte.

Un "very bad trip" dont la parenté avec Orange mécanique ne saurait être reniée, critique d'une société à deux vitesses dont l'écart entre les riches et les pauvres se creuse de plus en plus. Une anticipation qui pourrait ne pas en être une : les "gated communities" pullulent sur tous les continents (cf La Zona) et nous font craindre que la chasse au pauvre ne soit pas seulement une idée futuriste !

L'avis de Gromovar

25/08/2014

A cause de la nuit - James Ellroy


Reprenant quelques semaines après la fin de Lune sanglante, ce second tome des aventures de Lloyd Hopkins nous plonge, là encore, directement dans les esprits torturés du Voyageur de la Nuit et de son acolyte. Mais, alors que j'avais beaucoup apprécié la mise en place de la précédente intrigue, j'ai trouvé celle-ci brouillonne, dispersée et confuse, contrairement à l'écriture directe que je m'étais habituée à lire. Peut être dû à l’ambiguïté des personnages et leurs identités multiples mais j'ai trouvé ces débuts longs et difficiles, parsemés de jargon psychiatrique et de trip sectaire, qui m'ont laissée de marbre.

Et puis, même si ce n'est que ma deuxième "expérience Ellroy", je constate que c'est encore le même schéma : Hopkins "le génie" est confronté à un tueur intellectuellement à son niveau, pendant son enquête il tombe amoureux d'une femme qui, comme par hasard, va se retrouver sur le chemin de notre meurtrier (!) Enfin, le combat se finit bien entendu par une scène épique où Hopkins kick le tueur à lui tout seul, sans renforts policiers... 

Bien que l'écriture d'Ellroy rende tout ça prenant, cette structure répétée au fil des romans peut être lassante. Heureusement, l'ennui et la déception que je ressentais au début ont été annihilés par les cent dernières pages où toutes les pièces du puzzle se mettent en place, nous permettant de comprendre (enfin !) les motivations du tueur, élément à mon sens essentiel qui joue beaucoup dans l'intérêt d'un polar.

Si Lloyd Hopkins dit texto à sa maîtresse : "Linda, je suis le meilleur. Je vais même vous le dire carrément, je suis un putain de chef-d'œuvre.", force est de constater que ce n'est pas le cas de ce roman, à mon sens bien au-deçà de Lune sanglante. Rien de rédhibitoire cependant, la preuve : je n'ai pu m'empêcher de lire la troisième et dernière enquête du sergent Hopkins juste après avoir fini A cause de la nuit. Une lecture décevante qui reste tout de même addictive !

23/08/2014

L'impasse-temps - Dominique Douay


Qui n'a jamais rêvé de posséder un super pouvoir, être véritablement extra-ordinaire ? D'autant plus quand ce pouvoir permet d'arrêter le cours du temps, en suspendre son action, et se rendre ainsi invisible au commun des mortels, seul face à une humanité immobilisée dans un mouvement éternel. Comme d'autres, Serge Grivat l'a rêvé et même dessiné dans de multiples BD et désormais, il est seul maître du temps mais avant tout de lui-même.

En effet, "Plus de contraintes, une liberté pleine et entière. Personne pour réprimer, juger, sermonner." Un peu comme dans la fable de Platon sur l'anneau de Gygès, le pouvoir de notre héros et l'invisibilité qui en découle, le poussent à assouvir des fantasmes / envies qu'il s'interdisait jusqu'alors, par seule peur de la Loi.

Agissant donc en toute impunité et grisé par ce sentiment d'omnipotence, notre anti-héros s'enfonce dans une spirale de démence. S'ensuit alors une escalade de violence ; les menus larcins du début deviennent rapidement des crimes dont certains tournent à la barbarie et la perversité. Une soif de pouvoir et de reconnaissance intarissable pour cet homme considéré par beaucoup comme un loser alors même qu'il frôle l'immortalité et la toute-puissance (bien que dans l'ignorance générale), tel Dieu.

"En arrêtant le temps, je rompais avec l'ordre naturel des choses, et cette rupture en impliquait bien d'autres."

Dans un style fluide et ironique, bourré d'un humour grinçant et subtil qui tourne progressivement à l'aigre, Dominique Douay nous montre le côté sombre de la force. Ou comment un pouvoir peut aussi être une malédiction pour celui qui le possède. Un peu comme le fut ma très bonne découverte de l'oeuvre du couple Rémy grâce aux éditions Dystopia, c'est désormais au tour des Indés de l'imaginaire et leur collection de poche Hélios de remettre sur le devant de la scène un auteur plébiscité mais oublié par les nouvelles générations. A (re-) découvrir !

20/08/2014

Anima - Wajdi Mouawad


Anima. Ce titre claque sur le papier, mot à double tranchant et, par conséquent, à double signification. Anima, mot mystérieux qui se veut à la fois âme et animal, dont l'on mesure l'importance et l'entièreté de ce que cela suppose au fil des pages. En effet, ce roman porte sur l'importance des mots, des noms, de ce que cela dit de nous, un passage tortueux vers notre identité, notre âme. 

       "Le monde est vaste, mais les humains s'entêtent à aller là où leur âme se déchire"

Tout commence par le meurtre et le viol, d'une barbarie inouïe, de la femme du personnage principal : Wahhch Debch. Une découverte macabre suivie d'un rapport du légiste nauséabond, qui font s'effondrer le monde sous ses pieds, le meurtrissent et le déchirent, corps et âme en lambeaux. Une descente aux Enfers dont seule la rage bestiale de Wahhch lui permet de se tenir encore "debout bien que blessé".

Bien plus qu'une quête pour retrouver le meurtrier de son âme-soeur (qui est connu dès les premières pages), ce roman nous raconte, par un déroutant mais habile stratège de l'auteur, la quête identitaire de Wahhch Debch qui le mènera à ses origines, jusqu'à la révélation ultime qui glace le sang et libère la colère animale, monstrueuse, qui sommeille en lui, mais aussi en chacun de nous.

"Souvent, les humains s'auréolent du vert de la peur ou du jaune du chagrin et quelquefois de teintes plus rares : le safran du bonheur ou le turquoise des extases. Celui-là, fatigué, épuisé, englouti par l'opacité opaline du chemin, exhale, depuis le centre de son dos, le noir de jais, couleur de la dérive et des naufrages, apanage des natures incapables de se départir de leur mémoire et de leur passé."

Un roman magistral, monstre littéraire, qui nous met le coeur au bord des lèvres, nous éviscère et fouaille douloureusement au plus profond de nous-mêmes, touchant à ce qui fait notre identité. Une véritable blessure littéraire, comme un coup de poignard dans l'âme, dont l'on ne peut sortir indemne. Un chef d'œuvre !

Sophie Jodoin

18/08/2014

Alone : L'Intégrale - Thomas Geha


Ayant beaucoup entendu parlé de A comme Alone et Alone contre Alone (notamment grâce à la propagande éhontée de Lune !), la publication de ce diptyque en une très belle intégrale revue, corrigée et augmentée de deux nouvelles par l'auteur m'a fait sauter le pas. Mais qu'en est-il des romans eux-mêmes ?

Écrit à la première personne du singulier dans un langage peu châtié qui rappelle un peu le Benvenuto de Jaworski, Pépé nous embringue dans des péripéties dignes d'un Alone, seul (ou presque) contre les derniers survivants (fanatiques cannibales) d'un cataclysme mondial seulement décrit à demi-mot. Jouant l'originalité, c'est sur les routes françaises que Pépé nous promènent au gré de ses rencontres, en particulier aux alentours de la Bretagne. Rendez-vous en terrain connu pour moi, même si la touche "post-cata" nous fait redécouvrir avec plaisir certains coins sous un autre angle.

"Je suis un Alone, un mec qui ne se joint à aucun groupe, jamais."

D'aventures en aventures (parfois amoureuses), on en découvre un peu plus sur ces stalkers made in France et leur mode de vie ainsi que sur la vie de Pépé dévoilée par fragments. Une accumulation de scènes d'action-de-la-mort-qui-tue à coup d'armes de jet et de "pétoires", dont le schéma répétitif devient parfois lassant.

Inventifs, drôles et rythmés, ces romans se trouvent à la croisée des genres ; entre post-apocalyptique, western à la Tarantino, Dragon Ball Z et les roman-feuilleton de cape et d'épée du XIXe siècle. Des comparaisons qui plairont peut-être à l'auteur (et tenteront surement d'autres lecteurs) mais qui ne correspondent malheureusement pas à ce que je recherche dans la lecture et en particulier en SFFF.

Une lecture au final sympathique à lire sur la plage ou dans le train mais qui ne peut (imo) ambitionner plus de par une trop grande simplicité, tant scénaristiquement que stylistiquement. Seul la nouvelle (inédite qui plus est !), Le silence est d'or m'a vraiment plue et touchée. Cela reste donc une déception car j'attendais vraiment plus de cette intégrale. En effet, j'avais auparavant adoré le recueil Les Créateurs du même auteur, porté cette fois-ci par une plume subtile et sensible, et toujours aux éditions Critic !

Ils l'ont aussi lu : Lune, Cornwall, Baroona, Dup

15/08/2014

Le Maître du Haut Château - Philip K. Dick


Alors que pour nous les Alliés ont battu Hitler et l'empereur japonais Hirohito en 1945, il n'en est pas de même dans cette uchronie de P. K. Dick. Bien au contraire, suite à l'assassinat du Président américain Roosevelt, les USA et l'Europe s'écroulent et capitulent face à l'ennemi nazi en 1948. Avec ses alliés, l'Allemagne se partage les territoires des vaincus, début d'une hégémonie planétaire puis spatiale dont l'on appréhende les conséquences grâce aux différents protagonistes.

Alors que le postulat de base aurait pu être (très) intéressant à développer, le tout m'a été vraiment laborieux à lire. Les minutes défilaient plus rapidement que les pages et mon ennui persistait... J'ai attendu, attendu mais le déclic (OMG ! C'est un chef-d'œuvre !) n'est jamais venu.

De Philip K. Dick, je n'avais lu auparavant que des nouvelles qui, bien qu'inégales m'avaient globalement plu. Malgré le plantage qu'a été Le Maître du Haut Château, j'essaierai tout de même de lire Blade Runner en espérant que cette fois-ci soit la bonne. Sinon, je m'en tiendrai à ses nouvelles, assez nombreuses (plus de 120 !) pour me contenter. Une grosse déception !


Critique réalisée dans le cadre du challenge Morwenna's List organisé par Cornwall
Emprunté à la bibliothèque !

13/08/2014

Lune sanglante - James Ellroy


Lloyd Hopkins pourrait être un flic de L. A. normal : gras, corrompu, misogyne et raciste. Au lieu de cela, il poursuit un idéal que l'on pourrait presque qualifier de romantique : "traquer la laideur et essayer de la remplacer par son amour à lui, de cette espèce qui glace et engourdit". Un flic pas comme les autres donc, qualifié de "génie" mais aussi de "fou" par ses pairs, qui se voue jour et nuit à la poursuite du mal incarné, au détriment le plus souvent de sa femme et ses deux filles.

Pour cette première aventure du sergent Hopkins, James Ellroy ne ménage pas son lecteur (c'est le moindre que l'on puisse dire) et nous met KO avant même la fin du premier round. Des premières pages chargées de violence et de haine, de bruit et de fureur, récit d'un traumatisme qui nous est essentiel pour cerner la psychologie du serial killer qui sévit à Los Angeles : un tueur de femmes obsessionnel et particulièrement méticuleux, sans modus operandi précis, que rien ne semble arrêter.

"Il y avait du sang dans l'air, et la vertu nihiliste serait la logique qui prévaudrait cette nuit."

Débute alors une traque mutuelle entre notre (anti-)héros et le tueur, un combat épique de deux êtres d'une intelligence rare que tout semble opposer. En réalité, deux personnes meurtries dont les traumatismes les ont orientés différemment et qui illustrent bien le cliché que : "Certains sont conditionnés pour devenir des tueurs et d'autres conditionnés pour les attraper." (dixit Aaron Hotchner dans Esprits Criminels).

Servi par une écriture intelligente, à la fois poétique et violente, au service d'une description sans fard ni illusions de notre inhumaine (ou plutôt trop humaine) humanité, Lune sanglante est un roman qui nous bleuît l'âme et nous poisse les mains !

09/08/2014

Léviathan I : La Chute - Lionel Davoust


Ayant beaucoup aimé La Volonté du Dragon, novella fantasy se déroulant dans le monde d'Evanégyre, le seul nom de Lionel Davoust a suffit pour me faire sombrer dans les profondeurs de Léviathan : La Chute. Un pari compliqué vu que la mer n'est pas l'élément avec lequel je suis la plus à l'aise (loin de là)...

Malgré la mort tragique et traumatisante de ses parents lors du naufrage du Queen of Alberta, Michael Petersen est devenu chercheur en biologie marine. Tanguant entre fascination et peur phobique, il accepte de participer à une mission qui l'amènera à sonder les profondeurs de l'Antarctique mais surtout à dépasser ses propres limites. 

Mais comme le disait Renaud : "C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme...". Car, bien qu'elle lui ait enlevé ses parents, la mer l'a choisi et Michael l'a prise en retour pour amante : de celle "qui trahit mais à qui l'on pardonne tout". Une attraction bien dangereuse qui pourra le pousser tout droit dans la gueule du loup Léviathan, alors même qu'une mystérieuse organisation appelée la Main gauche déploie tout son pouvoir (et ses agents) pour qu'il ne revienne jamais de sa mission.

"Il se sentait comme au bord d'un précipice ou de la gueule d'une grande bête endormie, fasciné par le vide, avide de la chute, mais terrifié par l'impact, la douleur foudroyante de se sentir désarticulé, disloqué, un instant de supplice infini, et la désolation d'assister au délitement de sa conscience happée par la mort."

Véritable "premier tome", la majeure partie de ce roman sert en effet plus à la mise en place de l'intrigue et de la psychologie des personnages. Il faut donc patienter et atteindre la seconde partie du roman pour que les révélations se succèdent et que le suspens et la tension montent. Un "effort" qui paie vu qu'arrivée à 150 pages de la fin, je n'ai pu lâcher ce livre avant la dernière page...

Finalement, le Jeu Supérieur prend forme, les pions (Mages comme profanes) se mettent en place ou retournent leur veste et les Mains dévoilent leurs atouts avec parcimonie. Thriller ésotérique et polaire, La Chute signe le début d'une trilogie à ne pas rater. Prise dans la tourmente et ferrée grâce aux derniers remous de l'intrigue, j'attends avec impatience de lire la suite Léviathan : La Nuit !

06/08/2014

La Fin d'Alice - A. M. Homes


"Il" purge une peine pour viol sur mineur(e) depuis 23 ans dans la prison de Sing Sing. "Elle" est une étudiante banale, à qui les parents font confiance, mais qui ressent une irrésistible attirance pour les garçons pré-pubères et n'hésite pas à passer à l'acte. Tous deux, on ne connaîtra jamais leurs prénoms, sont des pédophiles. Pendant plusieurs semaines (mois ?), ils vont correspondre, s'échanger leurs souvenirs et leurs techniques pour appâter les enfants.

Œuvre ayant suscité la polémique aux USA, elle n'est sortie en France qu'en 2011. Une parution décalée en raison de l'affaire Dutroux, afin de ne pas risquer d'être accusée de faire l'éloge de la pédophilie à un moment si sensible sur le sujet. Ce roman (court pourtant) est lourd, suffocant, autant par les scènes que par l'écriture de l'auteure. Peut-être par envie de se démarquer et de se dépasser, elle en rajoute beaucoup. Trop.

Pour compliquer le tout (entre deux nausées), les souvenirs du pédophile incarcéré sont embrouillés et passent du présent au passé, de son expérience personnelle à celle de sa mystérieuse admiratrice. Des égarements et spéculations qui nous font parfois douter de la véracité même de ses souvenirs voire de l'existence de sa correspondante qu'il se serait imaginée pour mieux piéger le lecteur. 
 
"Le vrai enjeu de la pédophilie ou de la monstruosité, c'est le silence. On passe beaucoup de temps à refuser la réalité de tel ou tel événement de la vie comme de la fiction. En fait, cela n'a rien à voir avec la vérité, seulement avec notre petit confort."
 
Loin d'être une lecture de plage, La Fin d'Alice nous place dans la position inconfortable du voyeur, complice des crimes commis par le narrateur (Humbert Humbert moderne) et sa correspondante. Profondément dérangeant et pervers jusqu'à la nausée, ce roman n'est pas à placer entre toutes les mains et marque négativement celui qui fait l'effort de le lire jusqu'au bout. On lui préférera largement dans le traitement de la pédophilie le classique Lolita de Nabokov mais surtout (imho) Tigre, Tigre de Margaux Fragoso.

A déconseiller.

04/08/2014

Black Mirror - Saison 1


 
E01 National Anthem : Suite à l'enlèvement de la princesse héritière du trône britannique, une vidéo circulant sur YouTube et diffusée sur les réseaux sociaux montre la Princesse Susannah ligotée. Dans celle-ci le kidnappeur réclame au Premier Ministre d'avoir un rapport sexuel avec un porc, filmé et diffusé en direct sur tous les écrans et flux du monde. Mais, passé le choc, la population britannique cède au voyeurisme et à la fascination perverse à la perspective d'une humiliation publique et massive, en direct. Un dilemme terrible et horrifiant pour Michael Callow qui doit faire face à la volonté combinée de la Reine et du peuple qui l'obligent à faire l'impensable. Critique grinçante du rôle des médias et réseaux sociaux dans notre société tout comme de la nature humaine, ce premier épisode est un vrai coup de poing. 

E02 15 Million Merits : Dans un futur alternatif, le monde réel se confond presque avec le monde virtuel. Tous en uniformes gris, ce sont nos avatars qui reflètent ce que nous sommes et, comme dans un jeu,  nos actions nous font perdre ou gagner des points. Ceux-ci servent à payer ce que l'on mange ou bien le porno que l'on regarde... Mais le summum est d'atteindre les 15 millions de points afin de participer à Hot Shot, une émission de télé-réalité comparable à X Factor où les téléspectateurs sont aussi acteurs du show, leurs avatars s'exprimant dans les gradins sur la performance des "heureux élus" qui trouve son écho dans le concept de Rising Star, cette fois-ci bien réel. Une satire glaçante des télé-réalités / télé-crochets et, plus globalement, de notre société de (sur-)consommation acro au porno, aux pubs etc... Clairement le meilleur épisode de la saison.

E03 The Entire Story of You : Tout commence par une banale soirée apéro entre potes, où les souvenirs s'enchaînent autour d'un verre et d'un bon repas. Soirée banale ? Pas tant que ça puisqu'il est désormais possible pour tout un chacun (à conditions d'avoir un peu d'argent bien sûr) de se faire implanter une "capsule". Celle-ci contient toute notre mémoire et nous permet de revivre nos souvenirs, encore et encore, et même de les partager et de les visionner sur écran. Une invention qui peut être géniale dans certains cas mais qui devient ici infernale pour le personnage principal qui doute de la fidélité de sa femme et analyse tous ses souvenirs un par un. Jusqu'à la folie. Doit-on avoir peur du progrès ? On se le demande.

En trois épisodes distincts mais liés par leurs thématiques, comme autant d'éclats d'un écran brisé, Charlie Brooker critique avec ironie l'influence novice mais toujours plus importante des nouvelles technologies mais aussi des médias et autres émissions TV. Une vraie perle, acerbe et corrosive, qui se détache du lot des autres séries.

Souriez, vous êtes filmés !